Mercredi 07 janvier 2009,
Départ pour Ratmanoff pour une semaine de manips sur les manchots royaux, Mathieu de météo France m'emmène. Sur place, Anïa la Russe qui travaille sur le comportement des manchots et Johannes l'Allemand qui travaille sur des logiciels d'analyse de données GPS. Yoan et Christophe, des spécialistes des mammifères marins se greffent à nous car un éléphant de mer qui avait été équipé d'une balise vient d'être localisé à 7h00 de marche sur notre chemin. On fait donc chemin ensemble et nous allons participer à la capture armé de GPS, d'un sac de capture, d'anesthésiant et de lait concentré sucré pour parrer aux coups de mou. Bonne nouvelle, le tracteur peut nous déposer à 12km de la base, nous n'aurons plus que 31km à faire à pied.
On évolue sur une plage pleine de vie, la côte est assez verte alors qu'un peu plus loin dans les terres, c'est désertique. Après trois heures de marche à un bon rythme, je commence à en chier, les jambes sont aussi lourdes que le sac et le GPS indique encore 12km jusqu'à l'éleph, il faut faire vite, il ne doit pas repartir en mer. Quand nous arrivons à proximité du point, la jeune femelle d'environ 300kg est là, la balise sur le haut du crâne, Christophe définit la stratégie de capture pour que tout se passe pour le mieux. On l'isole doucement des autres éleph en l'encerclant, Mat et Yoan lui passent le sac sur la tête, je m'allonge ensuite sur son dos en lui tirant les nageoirs vers le haut, Yoan en fait autant. Le but du jeu est de faire un max de poids sur elle afin de l'immobiliser et permettre à Christophe de l'anesthésier. Après la piqure, on lutte encore 2 minutes et elle s'endort. Il suffit ensuite de retirer la balise, de refaire quelques mesures et au nom de la recherche, de lui faire quelques caresses de remerciements. Christophe Guinet ne cache pas sa joie, la balise qui s'est promenée trois mois a enregistrée de nouvelles données qui vont pouvoir être exploitées par de nombreuses personnes. Il nous faut maintenant reprendre notre chemin, la cabane est encore à une heure de marche!
Après une bonne nuit, Mat, Yoan et Christophe repartent et moi je commence les expériences avec Anïa. Le travail consiste à désorienter le poussin manchot, de l'écarter de sa crèche, de le priver d'un de ses sens et ensuite d'observer quels procédés il met en oeuvre pour retourner près des siens. Aujourd'hui on leur obstrue les oreilles, on les observe 15 min enfermés dans une arène avant de leur lasser libre action. Pour cette expérience, tous les poussins ont retrouvés leur crèche, en 5 min pour les meilleurs et en presque trois heures pour celui qui n'était pas pressé de nous laisser aller manger.
Dans l'après-midi, alors qu'on s'apprete à équiper un autre manchot, Johannes qui revient de sa ronde nous prévient qu'un de ses grands albatros est revenu et que nous devons l'équiper de son GPS. On rejoint donc rapidement le nid, comme prévu on y trouve la femelle que nous devons équiper qui vient de laisser sa place sur l'oeuf au mâle. Il n'y a presque pas de vent, ce qui rend son envol difficile, nous sommes confiant. Johannes prépare le matériel pendant qu'Anïa rampe pour s'approcher de l'oiseau, elle est à moins d'un mètre d'elle lorsqu'elle lui saisit fermement le bec tout en l'empêchant de déployer ses immenses ailes et elle s'accroupie ensuite au dessus. Nous approchons doucement et Johannes commence à poser le matériel mais il prend beaucoup de temps et l'oiseau se débat beaucoup. Moi j'ai la lourde responsabilité de récolter les paramètres d'équipement et de les retranscrire dans la base de données, en fait je ... en fait j'écris au crayon gris l'heure sur le cahier de l'ingénieur Allemand! Donc tout le monde est concentré sur le dos de l'alba qui lutte toujours quand soudain, Anïa murmure: "my god", elle répète plusieurs fois: "my god, my god" et de plus en plus fort, on la regarde, elle lache délicatement la tête de l'animal qui tombe au sol, il est inconscient. On s'en écarte, il ne bouge pas, ses yeux sont grand ouverts, Anïa panique, je propose de le masser, je m'en approche, je sollicite Johannes du regard qui s'en approche aussi. Alors qu'on pose nos mains sur lui pour tenter l'impossible, il secoue la tête et se lève, nous respirons. Il est là, juste devant nous, à bonne distance pour nous infliger de bons coups de bec mais il semble se réveiller d'une très longue sieste et il préfère s'éloigner doucement en faisant comme si il ne s'était rien passé. La stupéfaction ( mot compte triple ) nous envahit, ça semble complètement surnaturel, on pensait l'avoir tué, avoir tué ce géant de plus de trois mètres d'envergure et il se réveille. Il aura été inconscient une dizaine de secondes, dix longues secondes! Maintenant, les mains d'Anïa tremblent, Johannes se gratte le bonnet et on regarde ce géant déployer ses ailes comme pour nous montrer qu'ici les hommes ne peuvent pas décider de tout, on part. On tente d'expliquer ce qu'il s'est passé. Peut-être un malaise dû au trop fort stress ou un manque d'oxygène vers le cerveau dû à une mauvaise position ou encore un gros coup de bluff, mystère!
Le calme est de retour à Ratmanoff, les autres poses de GPS se passent très bien, la vie en cabane est très agréable, chacun contribue à son bon fonctionnement. A chaque cabane ses coutumes, son organisation, ici pas de rivières, une équipe en tracteur fait le ravitaillement en eau douce toutes les cinq semaines, la vaisselle se fait à l'eau de mer et pour le reste c'est l'eau de pluie. Hors du temps, pas de repères, juste le jour et la nuit! Voilà quatre jours et quatre nuits que nous faisons équipe, on ne se lâche plus, je peux même dire qu'on ne fait plus qu'un. J'ai bien pensé changer mais depuis quatre jours on a déja vécu tant de choses, j'ai peur qu'avec d'autres ce soit différent et puis le soir il fait si froid, ce n'est pas si facile! Non, vraiment, je pense que mon caleçon rouge et moi on va encore faire équipe deux ou trois jours!
J'oublie très facilement les jours, aujourd'hui on est lundi ou mardi, le vent souffle très fort depuis ce matin, la station météo donne 42 noeuds. Les manchots baissent la tête, les alba se relaient sur le nid et les pétrels géants surfent sur les vagues qui luttent aussi pour rejoindre la plage. On travaille beaucoup et de temps en temps j'offre la possibilité aux manchots de nous analyser à leur tour, je m'accorde des sessions chant, le mp3 sur les oreilles et le volume à toc. De même, le matin, quoi de plus agréable de se prendre pour leur facteur, de crier des bonjours dans tous les sens, de leur inventer des noms, de parler de la pluie et des nuages ou alors de se prendre pour un gendarme chargé de la circulation dans le carrefour le plus fréquenté du monde, quel pied!
Pour ce qui est du Français de mes acolytes, je pense qu'il a vraiment progressé, le mien en revanche a pris très très cher ! Merci pour avoir lire moi,
See You,
Sam